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1863 - Le Régiment Etranger à Camerone

 
Les troupes de la Légion Etrangère sont créées par un décret du roi Louis-Philippe, le 10 mars 1831. Trente ans plus tard, sous le Second Empire, Napoléon III souhaite soutenir la candidature de l'archiduc Maximilien de Habsbourg au trône mexicain et il ordonne l'envoie sur place d'un corps expéditionnaire.

En 1862, environ 30.000 soldats français débarquent à Veracruz avec Mexico comme objectif principal, mais leur situation devient rapidement difficile. La guérrilla mexicaine harcelle les Français et leur inflige une série de défaites.

La Légion Etrangère n'est alors pas concernée par l'expédition au Mexique et les légionnaires sont nombreux à être insatisfaits de ne pouvoir en découdre. La jeune Légion Etrangère n'a pas encore eu l'occasion de montrer ce dont elle est capable.

La volonté de combattre est telle que certains officiers subalternes de la Légion transmettent une pétition bien peu réglementaire à l'Empereur, lui demandant l' "honneur d'aller se faire tuer" pour la France. Elle vaudra en retour une pluie de jours d'arrêt à ses signataires mais elle porte. 

Le Regiment Etranger, soit environ 1.400 légionnaires placés sous les ordres du colonel Jeanningros, embarque à Oran pour arriver à Veracruz le 28 mars 1863. Leur difficile vie en Afrique, illustré ici par Giuseppe Rava, a déjà insufflé un fort esprit de corps.

A peine débarquée au Mexique, la Légion reçoit l'ordre d'assurer la sécurité des convois de ravitaillement parcourant une mauvaise route d'environ 120 km entre Puebla et Veracruz. La mission, périlleuse en fonction de la présence de la guerilla mexicaine, est indispensable au ravitaillement des troupes. Le 29 avril 1863, le colonel Jeanningros apprend l'arrivée prochaine d'un important convoi en provenance de Veracruz. En fonction de la cargaison qu'il transporte, une forte somme d'argent, des munitions et d'autres matériels, le chef de corps ordonne l'envoi d'une compagnie à sa rencontre. 

La mission est confiée à la 3e compagnie du 1er bataillon, pourtant déjà fortement éprouvée. Faute d'officiers disponibles au sein de la compagnie, l'unité est placée sous les ordres du capitaine Danjou, ralié volontairement pour cette mission par deux lieutenants. La colonne quittant le camp le 30, est forte de 3 officiers 5 sous-officiers, 6 caporaux et 51 légionnaires.

Laissons ensuite la parole à un ancien Légionnaire, le général George de Villebois Mareuil, le soin de raconter "Camerone", telle que nous appelons le petit village mexicain de Camarón. Ce témoignage d'un officier français à la vie mouvementée est extrait de l'excellent ouvrage de Pierre Montagnon, "Légionnaires d'hier et d'aujourd'hui" édité par Pygmalion en 2006.

Ce livre propose de retracer l'histoire de la Légion Etrangère en dressant le portrait de certains de ses hommes à travers toutes les époques. Ce n'est d'ailleurs pas le seul ouvrage de cet auteur consacré à ce superbe corps, illustrant ainsi le proverbe "légionnaire un jour, légionnaire toujours!". 


« C'est le 30 avril 1863 que le capitaine Danjou et les sous-lieutenants Vilain et Maudet, à la tête de la 3e compagnie du Ier bataillon, forte de 62 hommes, se rendirent au-devant de deux convois venant de la Vera Cruz. L'on partit à une heure du matin; à Palo Verde, on s'arrêta pour le café.
 
Tout à coup, la plaine se peuple de cavaliers mexicains; l'air manque autour du détachement; on renverse les marmites et on se dirige sur le village de Camerone. Il est fouillé, dépassé, mais la route est barrée, les assaillants sortent de toutes parts.
 
Le carré est formé; le feu des faces a raison de la charge; on profite du répit pour escalader un talus et gagner un peu de champ. Une seconde charge est encore repoussée. Alors, fonçant à leur tour, les Légionnaires font une trouée et gagnent une maison isolée contiguë à la route. Attenante à cette maison est une cour bordée de hangars ouverts, avec deux grandes portes sur une face.
 
Le capitaine Danjou s'en empare, barricade les portes, mais ne peut occuper qu'une moitié de la maison ; l'ennemi a déjà pris l'autre. A neuf heures le capitaine est sommé de se rendre : il refuse et le feu continue, furieux. A onze heures, le nombre d'ennemis ne laisse plus d'illusions; ils sont là plusieurs milliers, on se sent perdu.
 
Danjou fait jurer à ses hommes de se défendre jusqu'à la mort, tous jurent. Quelques instants après, il est tué, et le sous-lieutenant Vilain prend le commandement. Vers midi, on entend battre et sonner; est-ce le régiment qui arrive? On se croit un moment sauvé. Non, il ne s'agit que de trois nouveaux bataillons mexicains qui apportent leur appoint aux assiégeants.
 
Des brèches sont percées qui donnent des vues sur toute la cour; la situation devient intenable. À deux heures, le sous-lieutenant Vilain est tué; le sous-lieutenant Maudet lui succède. La chaleur est accablante, il y a neuf heures qu'on se bat, les hommes n'ont rien mangé depuis la veille; ils chargent et tirent impassibles, tête nue, la capote ouverte, noirs de poudre, embarrassés dans les cadavres qui encombrent la chambre, silencieux comme des êtres qui vont mourir.
 
L'ennemi met le feu aux hangars, les flammes et la fumée sont intolérables, mais les survivants se cramponnent quand même à leurs créneaux et font feu désespérément. A cinq heures, les Mexicains se concertent, leur chef les exhorte à en finir, et ses paroles parviennent jusqu'aux Légionnaires, aussitôt traduites par l'un d'entre eux. Ils renouvellent le serment de ne pas se rendre.
 
Alors l'ennemi se rue de toutes ses forces sur la maison, débordant par toutes les ouvertures; les portes cèdent, les rares défenseurs sont pris ou massacrés, la poussée humaine étouffe ces héros. Le sous-lieutenant Maudet lutte encore avec cinq légionnaires, au milieu des débris fumants d'un hangar écroulé, puis, la dernière cartouche brûlée, tente de se faire jour. Dès qu'il bondit hors de l'abri, tous les fusils le couchent en joue : le légionnaire Catteau se jette devant son officier, le couvre, et s'abat foudroyé. Maudet reçoit deux balles et tombe, c'est le dernier. Il est six heures du soir, et le soleil descend sur cette scène de Géants.
»



Le lendemain, un légionnaire blessé parvient à retourner à Puebla et rend compte de l'entière disparition de son unité au feu avant d'en raconter les circonstances.

La 3e compagnie du 1er bataillon du Régiment Etranger, en tenant ses positions pendant onze heures face à des forces ennemies écrasantes, a permis aux convois d'atteindre leur destination sans être inquiétés. Napoléon III, impressionné par le fait d'arme, ordonnera que "Camerone" soit écrit sur le drapeau régimentaire et que le nom des trois officiers de la compagnie soient gravés en lettres d'or sur les murs des Invalides.

Avant la fin de 1863, le Régiment Etranger accusera 60% de pertes au Mexique, mais l'histoire des légionnaires de Camerone va faire le tour du monde. Elle sera la pierre fondatrice de la réputation de la Légion Etrangère Française. L'expression "Faire Camerone" est depuis restée dans la tradition militaire française. Elle signifie combattre sans espoir, jusqu'au bout, pour l'honneur, et en vendant chèrement sa vie à l'ennemi.

La date du 30 avril est toujours extrèmement importante dans les unités de la Légion Etrangère Française. Elle donne lieu à des cérémonies officielles et "officieuses" et font d'elle la fête de la Légion. Cette date est également marquée par une commémoration militaire franco-mexicaine sur les lieux de la bataille, ou a été dressé un monument portant ces lignes :

« Ils furent ici moins de soixante, opposés à toute une armée. Sa masse les écrasa. La vie, plutôt que le courage, abandonna ces soldats français à Camerone le 30 avril 1863 »


Depuis le Mexique, la Légion Etrangère Française n'a cessé d'être engagée sur tous les fronts, par tous les régimes, mais toujours en portant haut les couleurs de la France. 

Forte aujourd'hui d'environ 7.300 hommes répartis dans une dizaine de régiments, la Legion Etrangère Française est aujourd'hui considérée comme parmi les meilleures troupes au monde.

L'immense majorité de ses effectifs regroupe des hommes de tous pays et de toutes origines ethniques ou religieuses. Chacun y est légionnaire et camarade. Après la retraite, l'entraide entre anciens légionnaires est devenue légendaire.

Belle leçon d'esprit de corps et d'intégration.


 
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