Sujet précédant          Sujet suivant

 
 
La pensée militaire entre 1815 et 1870
 

 
Durant le Premier Empire, l'armée française a longtemps fait preuve d’une supériorité marquée sur les champs de bataille de toute l'Europe. De 1815 à 1870 les succès militaires français sont Ininterrompus, l'Algérie est conquise, l'armée russe est défaite en Crimée et l'armée autrichienne est chassée d'Italie en 1859. Seule l’expédition mexicaine laisse un gout amer.
 
Mais, en quelques semaines de 1870, le brillant et solide édifice militaire français s'écroule sous les coups de la Prusse, une puissance européenne secondaire. L’armée française, pourtant courageuse et disciplinée, va subir une série de défaites décisives.
 
 
Une certaine paresse intellectuelle de l’armée
 
Entre 1789 et 1815, la France subit une période de guerre quasi-ininterrompue. Malgré la chute du Premier Empire et le retour de la paix,  les habitudes du temps de guerre sont encore bien ancrées. La pensée militaire se résume en quelques mots : « la guerre ne peut s'apprendre qu'à la guerre ». Les conceptions militaires pertinentes de la fin du 18e siècle sont oubliées.
 
L’édition militaire française est également loin des prouesses du siècle passé. Napoléon lui-même n’est pas aussi affuté dans la qualité de ses mémoires qu’il ne l’était comme stratège. Quelques auteurs comme Antoine de Jomini, publient néanmoins différents traités sur les batailles de le Révolution ou de l’Empire avec succès. D’origine suisse, cet ancien officier de l’Etat-major de l’Empire tire une analyse pertinente des batailles, mais il néglige les aspects humains et l’impact des développements techniques.
 
Les ouvrages de valeur sont rares, mais il en existe quelques uns comme  "Avant postes de cavalerie légère'' publié en 1831 par le général de Brack. L’ancien officier des lanciers de la Garde y théorise bien les tactiques napoléoniennes d’emploi de la cavalerie légère. Signalons également quelques mémoires de vieux soldats de l'Empire dignes d'intérêt comme celles de Marmont ou Marbot.
 
La meilleure analyse des guerres de l’Empire est écrite par un prussien, Carl von Clausewitz. Cet ancien officier de l’armée prussienne, capturé par les Français à Iéna, propose une analyse stratégique et tactique pertinente en discernant l'essentiel des doctrines napoléoniennes. Son plus fameux ouvrage « De la guerre » ne sera pourtant publié qu’un an après la mort de son auteur, en 1832. Il inspirera toutes les conceptions militaires prussiennes des décennies suivantes et deviendra le livre de chevet de bien des officiers. Helmuth Karl Bernhard von Moltke, chef du grand Etat-major prussien lors des victoires contre l’Autriche en 1866, et la France en 1870, s’en inspirera fortement. « De la guerre » ne sera pourtant connu et étudié en France qu'après 1870.
 
Pendant toute la première moitié du 19e siècle l'étude est regardée par l'armée avec défaveur. Etre brave, être bien habillé, savoir bien monter à cheval, semble suffisant pour être officier. "J'efface du tableau d'avancement tout officier dont j'ai lu le nom sur la couverture d'un livre" déclare même le Maréchal de Mac-Mahon. Une instruction officielle traitant de l'officier, datant du second Empire, stipule d'ailleurs que "si une aptitude spéciale le porte aux sciences c'est surtout à la géodésie qu'il devra se consacrer". Le Maréchal Randon trouvant un jour un officier au travail aux archives du dépôt de la guerre lui déclare "Je ne pensais pas vous trouver aux archives, autrefois vous aimiez mieux être en selle".
 
L'avertissement de Sadowa en 1866, pousse Niel et Lebœuf à donner une impulsion aux études tactiques, mais l’initiative ne rencontre aucun succès. Certaines conférences sur le sujet, comme celles du commandant Pay ou du lieutenant-colonel Lewal, sont d’un intérêt indiscutable, mais l’on juge scandaleux que de jeunes officiers puissent faire la leçon aux vieux généraux. Seules quelques individualités secouent l'inertie générale. Le colonel Ardant du Picq, dans ses "Etudes sur le combat antique et le combat moderne'' insiste sur l'importance de la force morale et du facteur humain. Il remet également en évidence l'importance décisive de l'armement et de la puissance de feu.
 
Mais ces courants de pensées ne sont pas suivis. Ardant du Picq sera tué en 1870, alors que son œuvre est à l'époque toujours inconnue. La nonchalance est de rigueur chez bon nombre d’officiers français. Julien Rovère dans son ouvrage « Les survivances françaises » affirme que l’on serait tenté de penser que l’intérêt principal, même dans l’armée "c'était le cheval vainqueur du grand-prix, ou le dernier refrain d'Offenbach, ou les toilettes d'une courtisane".
 
L'école d'Etat-major reçoit des sous-lieutenants auxquels elle délivre un brevet après deux ans d'études. Après un stage dans les différentes armes, ces officiers entrent bien souvent dans le corps d'Etat-major pour ne plus en sortir. Ils vivent loin de la troupe, de ses besoins et de ses aspirations. Leur formation est de plus imparfaite, les carences en géographie des officiers d’Etat-major français en 1870 deviendront légendaires. 

Enfin, l'armée n'a pas de tête. L'Etat-major, reconstitué en 1839, n'est ni instruit ni formé pour apporter un concours quelconque au commandement. Il n'existe pas plus d'Etat-major général au sein de l'armée. En 1859, lorsque l'Empereur veut établir un plan pour la campagne d'Italie, il ne peut faire autrement que de s’adresser directement à Thiers puis à Jomini.
 
 
L’influence des différentes campagnes
 
Les expéditions d'Espagne de 1823, de Grèce ou du siège d’Anvers, en Belgique, sont trop peu importantes pour exercer une influence notable. Seules les guerres d'Afrique, et particulièrement la conquête de l'Algérie, et les campagnes du second Empire en Crimée et en Italie influenceront la pensée militaire française. La guerre de Sécession des Etats Unis, entre 1861 et 1865, aurait justifié une étude approfondie, car sous bien des aspects, elle peut être considérée comme la première guerre moderne. L’emploi d’un armement récent, des chemins de fer et de la puissance industrielle ouvre la voie des hécatombes à venir, mais elle est quasiment ignorée en Europe avant les débuts du 20e siècle.
 
 
Les guerres d’Afrique
 
Des campagnes africaines découle une doctrine très ancrée chez une génération de chefs pénétrés des procédés de cette guerre spéciale.  La majorité des cadres et des troupes françaises va combattre en Afrique, ou l’avancement est plus rapide. Les exploits de l’armée y génère des soldats fiers et orgueilleux, les "Africains". Mais la tactique en Afrique est pour le moins particulière. Elle s’est adaptée à un ennemi aux tactiques inhabituelles. Il n’existe aucune action d’envergure, les opérations se réduisent à une simple notion de sûreté en marche et en station. Lorsqu’une unité est attaquée, elle adopte une formation en losange allongé dans le sens du front, contenant infanterie, cavalerie et artillerie aux angles.
 
Le seul atout de l’adversaire est la vitesse, il ne possède aucune artillerie et son feu d'infanterie est faible. Il est plus important de se préoccuper de l'enveloppement d'un élément par l'ennemi que de sa puissance de feu. Les généraux perdent l’habitude de la manœuvre à l’échelon du corps ou de l’armée alors que les officiers y négligent d’assurer une notion de sureté adaptée aux standards de la guerre européenne. Les cadres subalternes et la troupe perdent en Afrique la notion de subordination pour la remplacer par le « système D ».
 
Les guerres africaines sont pourtant profitables. L’armée y acquiert l’expérience du combat et la confrontation à un milieu hostile. Mais l’expérience n’est pas transposable à une guerre contre une nation moderne, comme tenteront de le faire certains chefs.
 
 
Les guerres de Crimée et d’Italie, entre 1853 et 1859
 
Ces campagnes sont des summums de l’improvisation. Dans le camp français, la mobilisation, la concentration des troupes, le plan de campagne et toutes les questions tactiques et même stratégiques sont laissées à l'initiative des échelons subordonnés. Mais l’adversaire commet encore plus d'erreurs que les Français et ces campagnes se terminent toutes par des victoires, contribuant à endormir l’armée sur ses lauriers. Selon une idée largement rependue à l’époque,  à la guerre, il suffit de "se débrouiller".
 
Le coup de tonnerre de Sadowa de 1866 ne produit aucun effet durable. Les rares conséquences tactiques tirées de l’évènement par l’armée française se révéleront de plus erronées. Entre 1815 et 1870 il existe un contraste saisissant entre la troupe, bien entrainée, courageuse et disciplinée, et le corps des officiers, nonchalant et souvent ignorant dans bien des domaines militaires.
 
 
Les règlements et la tactique
 
La désorganisation de l’armée française  en temps de paix aura de lourdes conséquences sur la guerre de 1870. Mais les fondements de la défaite sont aussi, et même surtout, à rechercher dans la pratique d’une tactique pour le moins contestable. Sur le sujet, la période située entre 1815 et 1870 peut se diviser en deux phases dont la charnière se situe en 1866.
 
 
Jusqu’en 1866
 
Jusqu'en 1866 et malgré l'adoption des armes rayées, les différences constatées dans l’utilisation des matériels sont assez peu sensibles. L’armée française, sous bien des aspects, reste similaire à celle de Napoléon, mais l’expérience acquise lors des nombreuses campagnes de l’Empereur est oubliée.
 
Le Règlement de 1831 reproduit à peu près textuellement celui de 1791. C’est malheureusement plus un règlement de parade que de combat. Le général Dejean, inspecteur de la cavalerie en 1836, écrit : "Nos évolutions ne sont qu'un assouplissement. Plus elles sont compliquées, mieux elles remplissent le but. Bien entendu elles sont inapplicables à la guerre. Je le sais mieux que personne". En Afrique, les prescriptions de ce règlement restent bien évidemment lettre morte. Le « Règlement de manœuvre des chasseurs à pied et troupes d'Afrique » plus adapté, sera édité en 1845.
 
Pendant la campagne d’Italie de 1859, la tactique française se caractérise tout d’abord par l’inexpérience des généraux, « Africains » pour la plupart, à commander des grandes unités. Ils ne possèdent pas la technique nécessaire pour ordonner des marches d'approche efficaces et leurs méthodes de combat sont si rigides que bien souvent, la troupe impose sa manière.
 
La doctrine française en Italie est un savant mélange de la guerre d'Afrique et du règlement de 1831. En donnant la prédominance au mouvement, la tactique de combat est résolument offensive, mais elle néglige sa combinaison avec le feu. Une division marche à l'ennemi sur une ou deux lignes de bataillons massés, distantes d’environ 150 pas, et précédées d’une ligne de tirailleurs. A son contact, la troupe ouvre le feu sur l’ennemi, puis, dès que possible, les bataillons rejoignent les tirailleurs et l’ensemble se précipite à l’attaque.
 
Il n'y a aucune préparation d'artillerie, et les batteries sont dispersées sur le champ se bataille. Le terrain coupé de la plaine du Pô ne favorise d’ailleurs pas les concentrations d'artillerie. Les pièces au tube rayé du récent système de la Hitte sont encore mal connues. Certaines batteries reçoivent leurs nouveaux canons rayés de 4, encore empaquetés, la veille de la bataille de Magenta. L’artillerie, comme la cavalerie, ne joue qu’un rôle insignifiant.
 
 
Après 1866
 
La victoire des Prussiens à Sadowa est généralement attribuée en France à la puissance de feu de leur infanterie, équipée d’un fusil moderne. La première réaction française consiste à adopter à la hâte, en 1866, un fusil moderne se chargeant par la culasse. Fort heureusement, l'arme choisie, le "Chassepot", est excellente et bien supérieure au Dreyse prusien. Ce progrès technique considérable de l'armement individuel du soldat n'est malheureusement suivi d'aucune réflexion notable quant aux nouvelles possibilités qu'il peut offrir.

De plus, la puissance de feu, jusqu’alors sous-estimée, va être ensuite largement surestimée. L'instruction sur le combat de 1867 précise qu’ "Avec les armes nouvelles l'avantage appartient à la défensive". Mais l'esprit général du réglement reste tout aussi offensif que son homologue prussien. Pourtant, en 1870, les généraux français abandonnent rapidement toute idée d'offensive et l’armée française se cantonne dans une défensive stérile. Les troupes régulières trouvent ainsi une fin indigne de leur courage et de leur abnégation dans les capitulations de Sedan et de Metz.


Un bilan très mitigé de l'armée française
 
Entre 1815 et 1870, l'art militaire français subit une indiscutable régression. Les anciens maréchaux d'Empire, comme Gouvion Saint-Cyr ou Soult, ne se révèlent vraiment efficace que dans l'organisation. Leurs successeurs, suivant le même chemin, mettent sur pied une solide armée, instruite, brave et disciplinée mais routinière. Ses effectifs sont trop faibles, mais le pays s'est refusé aux sacrifices financiers nécessaires à leur augmentation.
 
Forte des succès obtenus dans des expéditions parfois héroïques mais secondaires, l’armée française oublie les leçons du Premier Empire et néglige l'étude militaire. En conséquence, aucun effort n'est fait pour adapter la tactique au nouvel armement. Cette paresse intellectuelle reste probablement l’une des causes majeures des désastres de 1870.



 
Sujet précédant          Sujet suivant
 
 
 



Créer un site
Créer un site