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La tactique militaire française
sous la Révolution

La période révolutionnaire ne comporte pas de modification de l'armement; le fusil modèle 1777 arme l'infanterie et le matériel Gribeauval équipe l'artillerie. Les modifications de la tactique militaire ne peuvent en conséquence provenir que des institutions militaires. Or, à cette époque, les soldats sont peu instruits ou plutôt le sont inégalement. A côté des volontaires, il existe de solides bataillons issus des anciens régiments. L'amalgame les réunira ensuite. Le niveau d’un bon nombre d’officiers est initialement nettement insuffisant et la troupe, à cette époque, n'a aucune confiance en eux.
 
 
L’emploi de la cavalerie
 
Dès le début des guerres de la Révolution, on assiste à la suppression du rôle capital de la cavalerie royale car elle est désorganisée par les événements. L’abus du système divisionnaire mixte, regroupant infanterie, artillerie et cavalerie, supprime les masses de cavalerie et par conséquence son rôle d’exploration, ou d’action au combat par masses. Le rôle principal de la bataille incombe donc à l’infanterie.

Cette carence s'explique également en partie par la forte présence de la noblesse au sein de la cavalerie. Sa désorganisation est sans doute aussi la conséquence de cette condition. Elle est l'arme la plus éloignée de l'esprit de l'armée de la Révolution.
 
 
La tactique de combat de l’infanterie
 
L'évolution de la tactique de 1792 à 1795 montre l'influence des institutions militaires. Plus encore que la qualité des soldats, c'est la qualité des cadres qui importe. En 1792 les bataillons de l'armée régulière appliquent les prescriptions du règlement d'infanterie de 1791, prescrivant le déploiement en ligne sous le feu, la colonne d'attaque et l'emploi des "tirailleurs de combat", composés d’une ou deux compagnies par bataillon déployées de la sorte.
 
Mais en 1793 et en 1794 on voit dominer la tactique des "tirailleurs en grande bande" et tous les bataillons sont déployés en tirailleurs. L'abus de cette formation semble principalement du au manque de confiance des soldats, médiocrement instruits, en leurs chefs. Le soldat, se sentant mal commandé, veut défendre sa vie, lui-même, avec son arme.
 
"Les généraux étaient des soldats, mais beaucoup n'avaient pas les lumières de l'officier. Ils ne connaissaient pas en général d'autres manœuvres, à la première résistance qu'ils rencontraient, que de se jeter en avant avec tout le monde en tirailleurs, sans se ménager de réserve" (Général Duhesme).
 
Les Autrichiens d’abord surpris par cette "furia francese" trouvent bientôt la parade. Des avant gardes, poussées loin en avant, reculent en disputant pas à pas le terrain à ces tirailleurs en grande bande, jusqu'à ce que des troupes fraîches tenues jusque là en réserve, tombent sur nos troupes en désordre. Et vers 1795, on en revient à la tactique des tirailleurs de combat soutenus par des bataillons en colonne. Les progrès de l'encadrement des officiers permettent d'ailleurs l'emploi de cette tactique plus savante.
 
Finalement, et sous l’influence de son armement, l'infanterie agit surtout par le feu. Les attaques "à coups de baïonnette" sont rares malgré les discours qui vantent cette arme, tel que le proclame le comité de salut public : "L'arme des héros, devant elle échoue la tactique des despotes. Elle est le signal de la fuite précipitée de leurs satellites ou l'instrument de leur carnage. A l'aspect de cette arme la plus avantageuse au français, les tyrans tremblent, les esclaves fuient".
 
 
La manœuvre de l’artillerie
 
L'artillerie est l'arme la moins désorganisée par les événements, mais l'emploi d'un matériel alors nouveau (canons Gribeauval) occasionne au début quelques tâtonnements. La manœuvre de l'artillerie n'était pour ainsi dire pas étudiée dans les écoles. Dans la pratique les pièces sont amenées sur avant-trains jusqu'à la limite de la zone dangereuse car les attelages et conducteurs sont civils. Elles sont ensuite tirées à la bricole par les servants. La prolonge est utilisée pour le franchissement des fossés et le combat en retraite. L'artillerie à cheval en fait un usage plus fréquent que l'artillerie à pied, ce qui, n'est d'ailleurs pas sans occasionner une usure plus rapide de son matériel.

 
La photo ci-dessus détaille la hausse du canon de 8 de campagne du système de Gribeauval exposé au musée de l'artillerie de Draguignan.
  
Les positions de batterie sont choisies en vertu de plusieurs considérations. Elles doivent permettre le tir rasant afin de tirer parti des ricochets du boulet, tout en autorisant la prise d'écharpe des lignes adverses. Il est ensuite nécessaire de ménager un espace suffisant de 8 mètres environ entre les pièces pour ne pas offrir une cible trop facile. Les attelages sont groupés à l'abri, à peu de distance des positions et il est recommandé de faire garder les conducteurs civils par des sentinelles pour empêcher leur fuite.
 
En raison de la faible portée du matériel, le tir est exécuté indépendamment par section. Le chef de section  donne  la  hausse, le pointeur a une importance primordiale.
 
 
L’emploi de l’artillerie
 
Il n'y a aucune règle précise d'emploi. Cependant la plupart des cadres, issus de ceux de l'armée royale, s'inspirent des idées de l'école française de la fin du 18e siècle (Guibert, du Tell). On voit apparaître l'emploi de l'artillerie en masse avec la formation de grosses batteries. A Valmy, Sénarmont et d'Aboyllle groupent 24 pièces près du moulin.
 
Un officier prussien présent à la bataille de Valmy écrit "Depuis longtemps, les Français entretiennent une artillerie formidable, et, de l'aveu même de Frédéric le Grand, aucun peuple d'Europe ne pouvait leur être comparé à cet égard et puis le jour de la canonnade, ils s'étaient si bien servis de leurs pièces de 12 que nos artilleurs n'auraient pas osé espérer contre eux un succès décisif". Cette évocation de la bataille de Valmy, signée Horace Vernet, montre assez justement le positionnement des troupes alors en vigueur à l'époque. L'artillerie y est présente en première ligne.
 
L'infanterie ennemie devient l'objectif principal. La faible portée des pièces ne met d’ailleurs pas les batteries à l’abri d’une attaque d'infanterie. A Valmy, par exemple, lorsque les Prussiens prennent leur dispositif d'attaque, l'artillerie interrompt sa contrebatterie et reporte ses feux sur l'infanterie ennemie.
 
A l’évidence, il est nécessaire de préparer l'attaque de l'infanterie par des feux d'artillerie. A Wattignies, les boulets ouvrent la voie à l'infanterie. L'attaque de Dumouriez contre le village de Neerwinden, non préparée par l'artillerie, échoue. Celle des Autrichiens sur le même village, précédée d’un tir d’artillerie, réussit et entraîne la défaite française de Neerwinden.
 
En général, les tirs de préparation d'attaque commencent au moment de la formation des colonnes d'attaque et cessent au moment où ces colonnes s'ébranlent. On peut noter cependant l'habitude nouvelle qui apparaît de faire appuyer les attaques par l'artillerie à cheval se déplaçant par bonds et suivant au plus près la progression de l'infanterie.
 
La proportion de bouches à feu réalisée dans les batailles de la révolution, est d'environ deux pièces pour 1000 hommes. Elle est inférieure à celle désirée par Gribeauval qui en préconisait quatre, mais reste généralement supérieure à celle des armées ennemies. La portée réduite du matériel amène toujours à garder une partie de l'artillerie en réserve, mais à mesure de l''accroîssement de la mobilité, l'importance de cette réserve diminue.
 
Durant les guerres de la Révolution, l'importance relative de l'artillerie par rapport aux autres armes ne cesse de s'accroître, en fonction de la qualité croissante des matériel et de la valeur de son encadrement et de ses canonniers.
 
 
L’emploi de la division mixte
 
L'organisation divisionnaire trouve sa source dans les progrès de l'armement du 18e siècle comme le fusil et l'artillerie mobile. Mais si la plupart des conséquences de cette nouvelle organisation avaient été pressenties par les écrivains militaires de la fin du 18e siècle, la longue période de paix, s'étendant de la guerre de 7 ans au début des guerres de la Révolution, n'en avait pas permis la mise en pratique. Sous la Révolution, certaines causes, la plupart étrangères à la pure technique d'emploi, vont entraîner une autonomie progressive de la division. L'une d'entre elles est la difficulté du ravitaillement imposant à une armée de se "diviser pour vivre". Une autre raison est l'insuffisance du haut commandement qui, jointe à la difficulté des liaisons, augmente l'indépendance et l'initiative des échelons subordonnés.
 
Alors que les armées de l'ancien régime marchaient et combattaient groupées, on va assister sous la révolution à l'éclatement d'une armée en plusieurs divisions. Cet éclatement n'a été rendu possible que par les progrès de l'armement, permettant par exemple à une division mixte de mener un combat retardateur contre un ennemi supérieur.
 
Ces divisions marchent sur des itinéraires parallèles et la vitesse de déplacement d'une armée s'accroît. "Le combat perd sa rigidité et tend à ressembler à un chapelet aux grains séparés l'un de l'autre par une chaînette plus ou moins longue. On ne craint pas de laisser des intervalles inoccupés, pourvu qu'ils ne soient pas trop étendus et que la cavalerie puisse à un moment donné les balayer" (Donnai, « De Rosstoach à Ulm »).
 
Le front du combat s'étend, et, à effectifs égaux, atteint à peu près le double de celui des armées de l'ancien régime. Les 50.000 hommes de Jourdan à la bataille de Wattignies combattent sur un front de 20 kilomètres. Il est maintenant fréquent de n'engager le combat qu'avec les divisions les plus proches et de réserver l'action des divisions les plus éloignées pour frapper un grand coup. La distinction s'établit peu à peu entre la troupe qui lutte pour faire durer le combat et celle qui entre en scène pour le terminer. C'est un phénomène nouveau, car une des caractéristiques des armées du 18e siècle était la faiblesse de leurs réserves. Cette évocation de la bataille de Wattigny de Georges Morceau de Tour montre Lazare Carnot à la tête de ses troupes.
 
Certes le système divisionnaire donne lieu à de nombreux abus. Peu confiant en lui-même, le haut commandement ne recherche que peu la bataille et encore moins la bataille décisive. Les pertes de celles de l’armée de la Révolution sont d’ailleurs très faibles. La maitrise de l’action conjuguée de nombreuses divisions est encore mal maitrisée. 
Sur un même théâtre d'opérations, comme le Nord-est, par exemple, il n'y a pas d'unité de commandement. Les armées sont disséminées le long des frontières pour couvrir le territoire et les opérations tendent à s'émietter en combats isolés de divisions.
 
Les grandes batailles de l'époque résultent le plus souvent d'un concours fortuit de circonstances. Un grand nombre de troupe peut être engagé pour débloquer une place forte assiégée, comme à Hondschoote (Dunkerque), ou à Wattignies (Maubeuge) ou pour en protéger une autre, comme à la bataille de Fleurus, livrée pour couvrir Charleroi. Cette œuvre de Jean Baptiste Mauzaisse est une évocation de cette dernière bataille, pendant laquelle les Français mettront en service un ballon d'observation.
 

L'idée de manœuvre est peu présente dans les rencontres importantes. Le plus souvent, la bataille n'est que la somme d'un certain nombre de combats séparés de divisions. L'insuffisance du commandement ennemi et surtout la grosse supériorité numérique des Français sont parmi les facteurs les plus importants des succès des premières années de la Révolution.
 
On ne se sert pas de la souplesse de l'organisation divisionnaire et de l'extension des fronts qu'elle a permis pour imposer la bataille à l'ennemi. La "bataille par consentement mutuel" du 18e siècle n'a pas encore disparu. 
Il faudra attendre les campagnes napoléoniènes pour voir le système divisionnaire obtenir son plein rendement.

Le futur Empereur, quant à lui, fait 
également ses armes au profit de la République en Afrique, à la célèbre bataille des Pyramides, plus justement nommée du Caire, illustrée ici par Rava Giuseppe, ou, le 21 juillet 1798, 20.000 Turcs sont mis hors de combat pour une trentaine de tués du coté français. Mais les victoires françaises sont de courte durée en Afrique.
 
 
Conclusion
 
La période révolutionnaire n'est pas une époque de grand art militaire. La conception d'ensemble est souvent judicieuse, principalement grâce à Carnot, mais l'exécution ne répond pas à la conception. L'étude de cette période est néanmoins intéressante à plusieurs titres. Il faut connaître et admirer le prodigieux effort 
accomplis par la France dans les domaines du recrutement des armées et de la mobilisation industrielle.

Les guerres de la Révolution montre l'importance des répercussions de la mentalité et de la politique d'une nation sur la formation des armées et leur façon de combattre. Enfin en ce qui concerne l'adaptation de la tactique aux progrès de l’armement, la Révolution marque la transition entre les innovations du 18e siècle et les réalisations de Napoléon.


 
 
 



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